Brent Radford - armurier principal de plateau
Publié le 6 décembre 2023
Traduit de l'anglais
QUELLE EST TA FONCTION ? COMMENT DÉCRIRAIS-TU TON TRAVAIL ?
Mon titre officiel est armurier principal de plateau, cependant, à Montréal, on m’appelle parfois le responsable de l’armement. Selon l'ampleur du projet, nous pouvons soit faire partie de l'équipe des accessoires, soit agir comme un département autonome. Ma fonction peut être divisée en deux aspects principaux : manipuler et contrôler l’utilisation d’armes à feu et d’armes dangereuses sur les plateaux, et assurer la sécurité de la caméra et de l’équipe lorsque des balles à blanc sont utilisées pendant le tournage. Étant donné que nous sommes autorisés à manipuler des armes à feu et des armes interdites, comme des couteaux à cran d’arrêt et des cannes-épées, il est de notre devoir d’assurer la sécurité et de veiller au respect des lois lorsqu'elles sont retirées de la chambre forte. Ces objets ne peuvent pas être remis à un responsable des accessoires et doivent être manipulés par une personne certifiée. On m’a souvent dit que notre présence sur les plateaux de tournage rassurait l’équipe, et c’est un grand compliment.
Nos journées de travail peuvent s’avérer assez longues. Nous commençons par récupérer tous les éléments nécessaires pour le tournage dans la chambre forte, nous les chargeons, nous nous assurons que les procédures de stockage sont correctes, puis nous informons les autorités gouvernementales que les armes ont été déplacées de notre entrepôt sur un plateau de tournage. Tous les déplacements doivent également être effectués dans un véhicule enregistré, suivi par le gouvernement et la police doit également en être avisée. À la fin de la journée, les autres membres de l'équipe peuvent ranger leur équipement, fermer leurs camions et quitter les lieux. La journée n’est toutefois pas terminée pour les armuriers. Nous devons placer toutes les armes dans notre véhicule, retourner à la chambre forte, tout déverrouiller et ranger soigneusement les armes dans un coffre-fort qui peut se trouver à l’intérieur d’un autre coffre-fort. Par conséquent, nos journées de travail sont considérablement plus longues que celles de nos collègues. Lorsque nous tournons à l’extérieur de Montréal, nous devons passer la nuit à l’hôtel, car nous ne pouvons pas laisser les armes sans surveillance. Quelqu’un doit les surveiller en permanence. Assurer la sécurité de tous est après tout notre priorité absolue.
QUEL ASPECT DE TON TRAVAIL AIMES-TU LE PLUS ?
Venant du milieu théâtral, j’adore l'aspect collaboratif du processus de création. J'aime travailler en étroite collaboration avec les réalisateurs, qui comptent sur notre expertise pour recevoir des conseils sur l'utilisation des armes et pour s’assurer que les acteurs et les figurants paraissent convaincants à l’écran lorsqu’ils les manipulent. Dans mon domaine, on apprend et on observe en permanence. Il faut savoir faire la différence entre ce qui se passe dans le monde réel et ce qui est représenté dans les films. Un réalisateur peut avoir une requête qui n'est pas réaliste ou qui est trop dangereuse. Notre responsabilité est de les informer et de leur proposer d’autres options plus sécuritaires. Néanmoins, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour donner vie à leur vision créative. De plus, étant donné que le public est de plus en plus informé en matière d’armes à feu, il est important que nous restions au fait des derniers développements dans ce domaine.
J’aime aussi l’esprit communautaire qu’on trouve sur les plateaux de tournage. Collaborer avec différentes équipes est gratifiant et c’est un environnement agréable. C'est très enrichissant de participer à un projet. Même si vous ne me voyez pas dans le film, j’ai contribué au produit final.
QUEL EST, SELON TOI, LE PLUS BEAU PROJET SUR LEQUEL TU AS TRAVAILLÉ ?
Deux projets me viennent à l’esprit. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de travailler sur le film Le grand coup (The Score) avec Robert de Niro, Marlon Brando, Edward Norton et bien d’autres. C’était un plaisir d’être en présence d’acteurs aussi célèbres. Collaborer avec le réalisateur Frank Oz fut également un véritable honneur pour moi. Plus jeune, j'adorais son film Deux fils de pute (Dirty Rotten Scoundrels). J'étais donc ravi de pouvoir travailler à ses côtés. Notre opinion comptait pour lui et il était réceptif à nos suggestions. Selon moi, plus le réalisateur a de l’envergure, plus il est collaboratif et ouvert à ce genre d’échanges.
Un autre projet que j'ai énormément apprécié est la série télévisée Sang et trésor (Blood & Treasure). Étant un enfant des années 1980, j’ai grandi en regardant des films d’action. Travailler sur cette série a été un voyage nostalgique pour moi, car certaines scènes s’inspiraient de films de cette décennie. On tournait des scènes rappelant des batailles contre les nazis, comme dans un film d’Indiana Jones. Ce qui a rendu cette expérience encore plus agréable, c’est l’ouverture du réalisateur et du producteur à nos idées créatives. Toutes les personnes impliquées se sont senties appréciées par les acteurs et l’équipe. C’était incroyablement amusant et cela a ravivé ma passion pour l’industrie du divertissement.
AS-TU UNE ANECDOTE INSOLITE LIÉE À TON TRAVAIL À PARTAGER ?
J’ai eu la chance de travailler aux côtés de Marlon Brando dans deux films. Le premier était une comédie noire intitulée Fric d’enfer (Free Money). Lors de mon premier jour sur le plateau, je devais lui remettre un pistolet pour une scène et lui donner les consignes de sécurité requises, car il devait tirer directement sur la caméra après avoir récité quelques courtes répliques. Pendant que je lui expliquais les mesures de sécurité, il m'a écouté très attentivement et a hoché la tête sans poser de questions. La scène devait être tournée sur une pellicule de onze minutes alors qu’elle devait durer environ trois minutes selon le scénario. Cependant, Marlon a décidé d’improviser et les cinq répliques qu’il devait prononcer sont devenues de longs paragraphes.
Pendant ce temps, plusieurs questions passaient dans ma tête : « Quand est-ce qu’il a fini ? Quand va-t-il tirer ? Pourquoi ne suit-il pas le scénario ? ». J’ai également remarqué que les caméramans échangeaient des regards perplexes parce qu’ils n’avaient bientôt plus de pellicule. Finalement, il a tiré, mais la caméra avait déjà épuisé sa pellicule. Nous avons donc dû recharger la caméra et le pistolet afin de tourner à nouveau la scène. La même chose se reproduit pendant environ huit prises, avec un discours différent et improvisé chaque fois. Personne n'a jamais rien dit pendant tout ce temps. Bien que la performance de Marlon ait indéniablement été captivante, toutes ces prises étaient assez fastidieuses pour l’ensemble de l’équipe. Le réalisateur a fini par utiliser l’une des longues prises pour le montage final.
Des années plus tard, lorsque j’ai travaillé sur Le grand coup (The Score), Marlon m’a personnellement convié dans sa loge pour me saluer. C’était un homme remarquable et talentueux et j’ai vraiment aimé travailler avec lui.
QUEL AVENIR IMAGINES-TU POUR LA PROFESSION ?
L’avenir de notre profession semble plutôt sombre… L’imagerie générée par ordinateur (CGI) a en quelque sorte pris le dessus. Les réalisateurs ont de plus en plus de mal à justifier l’utilisation d’armes à feu et de munitions à blanc sur les plateaux de tournage et souvent, les remplacent par des effets spéciaux. Ils préfèrent les inclure dans le budget de postproduction plutôt que dans celui de production pour bénéficier de crédits d’impôt. À mon avis, cela donne rarement un bon résultat à l’écran et finit souvent par coûter plus cher. Les acteurs ne sont pas plus satisfaits de cette décision, car ils ne ressentent pas la même chose. Le fait de manipuler une vraie arme et de tirer à blanc les aide à rester dans la peau de leur personnage. Le jeu d’acteur est donc moins crédible et réaliste. Remplacer une arme à feu par un jouet et des balles à blanc par des images de synthèse change toute la dynamique d’une scène. Il est impossible de reproduire cette authenticité avec des effets spéciaux.
De plus, ce qui s’est passé sur le plateau de Rust avec Alec Baldwin a également entraîné un changement de paradigme dans la manière dont les gens perçoivent les armes sur les plateaux de tournage. Je suis profondément attristé que la réputation de notre département ait été salie par ce malheureux incident, qui s’est produit uniquement à cause de personnes négligentes et irresponsables. Une personne est morte et cela n’aurait jamais dû arriver. Les répercussions de cette tragédie ont affecté ceux d’entre nous qui sont compétents et qui, depuis des années, font tout leur possible pour prioriser la sécurité sur les plateaux. Tout peut être fait en toute sécurité si on fait les choses correctement.
SELON TOI, QUELLE EST LA FORCE DE L’INDUSTRIE AUDIOVISUELLE AU QUÉBEC ?
La principale force du Québec réside dans sa richesse artistique. J'admire le dévouement des techniciens d’ici. Ils travaillent pour s’épanouir et non pour l’argent. Leur passion est indéniable, surtout dans les productions francophones. Malgré les budgets plus serrés, l'équipe demeure profondément investie dans le projet et croit en la vision du réalisateur; ils mettent tous la main à la pâte. Originaire de l’Ontario et ayant travaillé à Los Angeles et à Toronto, j’ai constaté que ces métropoles ne me convenaient pas. Je suis revenu dans ce climat plus froid parce qu’à Montréal, il y a cette joie de vivre qu'on ne retrouve pas ailleurs. Il y a cette vitalité culturelle et diversifiée peu commune. C’est essentiellement ce qui m’a poussé à revenir ici. Nous avons tellement à offrir !